Les evolutions du flamenco le ramènent toujours à son essence

2 janvier 2013 par AutreFuturVersion imprimable de cet article Version imprimable

Entre Andalousie, palos, Garcia Lorca ou Pastora Pavón, rencontre avec Paco, fils de cénétiste espagnol, bercé depuis l’enfance par le flamenco et chanteur lui même.


- AutreFutur : Peux-tu revenir sur les origines du Flamenco ?

Le berceau du flamenco est sans nul doute l’Andalousie, l’une des plus anciennes démocraties d’Europe, antérieure à celle d’Athénes. Chaque province et quelques fois chaque village possède ses palos propres c’est-à-dire ses styles de flamenco particuliers.

Deux civilisations Andalouses sont connues. La plus ancienne, celle de l’Argar, située à la pointe Est et qui comprend les provinces de Murcia, Almeria et Jaén, qui ont donné naissance aux palos del levante, (styles du levant). Une muraille de cité fortifiée de style Troie II, vieille de 4.200 ans, a été découverte dans la province de Murcia. Pour Grenade et Malaga qui ont des palos bien proches de ceux del levante , l’archéologie les place également dans le territoire de cette civilisation qui resplendit à son époque, sur toute la péninsule Ibérique.

Tartessos, l’autre civilisation Andalouse, est mentionnée par Hérodote dans son livre III d’Enquête, six siècles avant JC, où il fait dire à Otanès, membre du complot des sept qui mit Darius au pouvoir (et pour soutenir les sophistes qui tentaient d’instaurer la démocratie directe à Athénes) qu’il souhaitait instaurer la démocratie en Perse, puisque les gens les plus heureux du monde vivaient à Tartessos qui était une démocratie, directe évidemment. La mythologie grecque y situe l’un des douze travaux d’Hercule qui y a volé un troupeau de taureaux fabuleux puis passa en Afrique du Nord, après avoir créé les Colonnes d’Hercule qui ouvrirent le détroit de Gibraltar, pour échapper à Gérion, roi mythique de Tartessos, qui le poursuivait avec ses guerriers.

- AutreFutur : Et qu’en est-il des gitans ?

Pline dans ses écrits, fait l’éloge d’une danseuse de Cadix, grande vedette de l’empire Romain et une sculpture d’époque reste encore à Naples de cette fameuse danseuse, laquelle porte les habits (une bata de cola) et tient la posture d’une danseuse de flamenco. Une sculpture Ibère du VIème siècle avant notre ère, représente une femme portant ce type d’habits, tout à fait semblables à celui des danseuses flamencas d’aujourd’hui.

Les gitans andalous n’ont jamais été nomades et sont en Andalousie depuis toujours, ce qui n’est pas le cas des gitans Catalans ou Húngaros qui proviennent du Rajasthan (comme probablement les Iberes), dont on sait historiquement qu’ils sont arrivés au 14ème siècle dans la région de Catalogne, alors qu’au 12ème siècle déjà, lors de reconquête Germano-chrétienne de l’Espagne, un couple de gitans andalous fut envoyé au roi chrétien pour qu’il connaisse cette particulière population Andalouse. Federico Garcia Lorca, grand connaisseur de flamenco, cite une réunion de cabales, c’est à dire, mélomanes grands connaisseurs de flamenco, venus écouter la chanteuse gitane Pastora Pavón et parle d’eux en les comparant à des personnages de la haute antiquité andalouse comme Argantonio ou Gérion, il décrit l’un d’entre eux « avec un air de masque Crétois », un autre, un boucher, comme prêtre sacrificateur de taureaux. Garcia Lorca voudrait-il associer les gitans andalous aux descendants directs des Ibères qui créèrent ces civilisations andalouses et perpétuent leur lointaine culture ? Cela contrarie l’ordre établi qui aimerait faire croire que toute la culture espagnole provient de l’Occident Indo-Européen, dont les Celtes et cite constamment les avancées de la civilisation qu’apporte l’imposition des classes sociales, qui n’ont pu se faire que par l’intermédiaire des armes.

L’origine des Ibères et la date de leur arrivée en Andalousie restent inconnues, il pourrait s’agir d’un peuple de la mer, avec leurs bonnets phrygiens, originaire de la vallée de l’Indus, au sud du Rajasthan actuel. L’archéologie révèle que dans cette vallée, il n’existait pas de classes sociales « puisque toutes les habitations sont les mêmes pour tous » et qu’ils durent certainement migrer après l’assèchement du fleuve.

- AutreFutur : Au début de notre conversation, tu parlais des palos, des styles particuliers propres à chaque province, voire à chaque village…

Avant de commencer cette partie il faut spécifier que compás signifie rythme et que les différents compás peuvent se composer de cycles de trois, quatre, huit ou douze temps. Les tempi de chaque compás changent selon le palo et la volonté des interprètes. Il existe également des palos sans compás proprement dit, comme le fandango libre ou natural. La taranta, Cartagenera, ou la minera font également partie de ces palos dits libres.
Les temps forts habituels pour le douze temps sont le trois, six, huit, dix, douze pour la soleá par exemple, ou deux, quatre, six, neuf et douze pour la seguirilla, la serrana et la liviana. Pour le huit temps ce sont le un et le cinq.
La soleá et la seguirilla, styles de pur cante jondo (chant profond) avec des tempi très lents, sont dites les mères du flamenco, mais c’est sans doute oublier les chants à palo seco, c’est à dire sans instruments, tels que le martinete, la toná ou la debla, dits cantes de fragua, soit chants de forge, qui logiquement devraient être parmi les premiers chants de cet art. Ces chants à palo seco ont un compás induit de douze temps, tel celui de la seguirilla, ils sont chantés en général, au son de marteaux sur l’enclume, remplacés sur scène par le triangle et dans un bar par un verre et une cuillère.

Parmi les chants del Levante, l’Est de l’Andalousie, se trouvent les chants des travailleurs des mines comme el taranto, la taranta, la minera ou la Cartagenera, dont les berceaux sont les provinces d’Almeria, Jaén et Murcia, Cartagena se trouvant dans la province de Murcia. Ces chants, à part le taranto qui a un compás de huit temps, sont des chants libres.
La province de Grenade, dernier territoire musulman en Espagne a donné naissance à la Granaïna qui garde des sonorités de cette occupation orientale, ainsi que les tangos et fandangos de Graná.

La province de Malaga a produit la Malagueña les tangos de Malaga ainsi que les verdiales et les Rondeñas de la ville de Ronda, quoique certains donnent l’origine de ce dernier palo à Almeria où les soupirants allaient devant la jalousie de leur élue le chanter. Aller de ronda signifiant aller, la nuit venue, faire la cour devant la jalousie choisie.

La province de Cordoue a donné les alegrias et soleás de Córdoba ainsi que différents styles abandolaos.

La province de Séville possède beaucoup de styles de soleá, seguirillas, fandangos ou tangos, quelques fois provenant de localités comme Utrera, La Puebla ou Triana.

Cadix a donné las alegrías, romeras, cantiñas et mirabrás. Les caracoles qui appartiennent à cette même famille ont été créés par les Gaditans émigrés à Madrid. Des seguiríllas et soleás particulières proviennent également de cette province, ainsi que les bulerias et tangos de Cadix. Paterna de la Rivera qui appartient à cette province, revendique le style petenera. Toutefois, la petenera del Rio, provient d’Almeria.

La ville de Jerez située dans cette province, est un vivier extraordinaire de flamenco où Gitans et non Gitans vivent cette culture en osmose, ce sont des grands spécialistes de la Buleria de Jerez, entre autres.

Les fameux fandangos de Huelva viennent évidemment de cette province de l’extrême Ouest, limitrophe du Portugal, ils ont un rythme de trois temps particulier qui n’est pas suivi de la même manière par la guitare quand il accompagne le chant ou quand elle fait son falsete (solo). Pour ainsi dire chaque village de cette province possède son fandango particulier. Il existe également des soleás et seguirillas spécifiques à cette province.

Une région non incluse en Andalousie, l’Estrémadure, a produit soleás et tangos extremeños propres à cette région. Cette région fit toutefois partie de la civilisation de Tartessos.

D’autres fandangos dits abandolaos sont nés dans les montagnes andalouses, verdiales, fandangos de Lucena, fandangos de Graná, fandangos de Almeria, Jaberas, Rondeñas ont tous un rythme de trois temps semblable. La serrana, c’est-à-dire de la sierra, et la liviana ont le même compás que la seguirilla, soit un douze temps qui commence par trois binaires et finit par deux ternaires.

Les soleás, alegrias, cantiñas, romeras et caracoles, ont également un rythme de douze temps qui pour ces styles commence par deux ternaires et finit par trois binaires. Mise à part la Soleá, les quatre autres styles cités peuvent donner lieu à des fioritures qui changent les temps forts du compás, ou rythme cyclique, les temps forts habituels pour ces palos sont le trois, sept, huit, dix, douze.

Les tientos ont un compás de quatre temps, les tangos de huit et les bulerías de douze. Les bulerías peuvent passer pour une période plus ou moins longue sur trois temps pour revenir ensuite à douze. Les bulerias ayant un tempo très rapide ont donné à un spectateur maghrébin, l’impression d’un cinq temps, cycle qui existe dans certaines cultures musicales du Maghreb.

N’oublions pas le polo Sevillano et la caña qui ont le même compás que la soleá. Mais il existe une telle quantité de palos qu’il est impossible de tous les répertorier, moi, moins que tous ces flamencologues attitrés et fort respectables.

A titre d’information, il faut parler de la Sévillane, simplement pour dire que cette musique, bien qu’andalouse, n’est pas considérée comme un palo flamenco puisqu’elle ne respecte pas ses caractéristiques, elle est considérée comme du folklore, au même titre que la sardane Catalane ou la jota Aragonaise.

- AutreFutur : Et quelle est la place de la femme dans le flamenco ?

La femme dans le flamenco est et a été d’une importance capitale, aussi bien dans le chant que dans la danse, en ce qui concerne la guitare beaucoup moins, certains prétendent qu’elle ne possède pas la force physique nécessaire pour cet instrument qui ne peut en aucun cas être électrifié, faute de quoi le son ne saurait être flamenco.
En ce qui concerne le chant, nombre d’entre elles ont laissé un héritage imposant de styles propres, Pastora Pavón a révolutionné l’ensemble de cet art à son époque, Carmen Linares, grande chanteuse contemporaine, a enregistré un album intitulé Antologia de la mujer en el cante, qui recueille grand nombre de ces palos particuliers de femmes.
En ce qui concerne la prédominance au cours de l’exécution d’un morceau, chacun se positionne, danse, chant, guitare, percussions, en avant poste, selon les codes flamencos qui sont très définis. La personne pouvant appartenir à un sexe ou l’autre sans aucune importance en soi.

- AutreFutur : Quels ont été les apports du flamenco dans la Musique contemporaine ?

Montoya, un guitariste classique du début du 20ème siècle, venu au flamenco, a apporté rigueur et technique de ce style. Paco de Lucia quand il s’est produit avec John McLaughlin et Al Di Méola, raconte que, n’ayant pas la technique de l’improvisation, il a eu l’impression que sa tête allait éclater tant l’effort à accomplir pour improviser lui a été violent. Par la suite ce guitariste, musicien exceptionnel, a appris l’improvisation et dit qu’il ne peut plus s’en passer. Cet acquis provenant du jazz afro étasunien a également fortement influencé le flamenco par l’intermédiaire de ce prodige qu’est Paco de Lucia.
Le flamenco de son côté a influencé la quasi-totalité de la musique classique espagnole et des musiciens comme Ravel, Debussy ou Bizet, pour ne citer que les Français. Le flamenco est une musique vivante qui évolue constamment. Il a été influencé de mille et une manières, mais Federico Garcia Lorca, immense poète, musicien de formation, auteur du Romancero gitano, Poema del cante jondo, et de plusieurs conférences sur le flamenco, dit très justement que toutes les évolutions du flamenco le ramènent toujours à son essence.

Paco MUÑOZ Cénétiste et Chanteur

3 Des réflexions sur “Les evolutions du flamenco le ramènent toujours à son essence

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